Pour écrire, il me faut un plan.
Un squelette.
Une espèce de filet tendu entre deux moments de l'histoire.
Le début et la fin.

Cela prend parfois la forme d'une fin en queue de poisson. On ajoute une dernière question à laquelle on ne répond pas. On ressuscite un mort et on le laisse aller. On guérit un aveugle et on oublie de dire ce qu'il devient. Quelqu'un ouvre une lettre (ou le courriel) et l'auteur nous décrit seulement le sourire de Mona Lisa sur le visage de cette personne, sans nous dire ce que contient la lette (ou le courriel). C'est assez risqué, tous les lecteurs n'apprécient pas. Qu'a voulu dire l'auteur ? Y aura-t-il une suite ? Frustré ou fûté, c'est à vous de choisir. C'est un livre dont vous êtes le héros.
D'autres fois, c'est beaucoup plus subtile. Pierre Bayard, dans La vérité sur "Dix petits nègres", a démontré que l'on pouvait relire tout un roman pour lui donner explication différente, une autre fin après la fin imaginée par l'auteur, même - et surtout - dans le cas d'un roman à énigme. Jorge Luis Borges avait déjà évoqué cette possibilité dans son recueil Fictions : un dernier élément qui amènerait le lecteur à remettre en question la solution proposée par l'enquêteur et l'obligerait à relire le roman avec cette nouvelle information.
Penser le plan, je veux dire penser le plan dans son ensemble, c'est le penser à partir de la fin qu'on veut lui donner. La fin d'une comédie n'est pas la même que celle d'une tragédie. on peut même dire que la fin choisie fait le genre. Dites-moi la fin que vous voulez écrire, je vous dirai quel genre de roman vous écrirez.
Ainsi, les écrivains doivent penser la fin de leur intrigue principale, même si l'histoire oblique en cours d'écriture, même si les personnages vont vivre de nouvelles aventures par la suite. Pour reprendre l'image d'une squelette, le plan n'empêche pas les organes, les nerfs, les vaisseaux, les muscles et même le gras, la vilaine bedaine si vous voulez.
Pour moi, l'intrigue principale, c'est le sujet du livre. Roméo et Juliette, c'est l'histoire d'un amour impossible entre deux adolescents appartenant à des familles ennemies.
Les scénaristes de film résument ce sujet à un message, par exemple "l'amour est plus fort que tout". Est-ce la même chose pour la littérature ? Le message du roman, s'il existe, n'est-il pas inconscient ? Je traite un sujet, je me plie à sa logique intrinsèque. Ai-je nécessairement une opinion à donner, autre qu'une opinion au sujet de la littérature ? Quel était l'opinion de Flaubert quand il écrivait Salommbô ? Qui peut dire quel est le message de Madame Bovary ? J. K. Rowling cherchait, dit-elle, à divertir ses enfants par ses histoires d'apprenti sorcier. Le "message" est devenu plus lisible dans la suite des romans, mais il n'est pas premier, il n'est pas fondateur dans le processus de création littéraire.
Affirmer le contraire, ne serait-ce pas réduire le roman à un outil, à un moyen, à un véhicule, à un texte de propagande ?
J'ai du mal à penser en termes publicitaires.
Le plan renvoie donc à l'intrigue et l'intrigue à l'idée de fin, mais à aucun moment l'auteur n'est obligé de penser à son roman sous la forme d'un message expédié à un certain type de destinataire, "son public cible". Il existe certes des lecteurs et des publics, comme il existe des genres littéraires, mais un roman, même un roman jeunesse pour les 8-12 ans, peut être lu par d'autres catégories d'âges que celles prévues par l'écrivain et son éditeur. Sans quoi, tous les romans jeunesse devraient être écrits par un enfant et "Guillaume Musso" devrait être le pseudo. d'une femme.
Le roman est donc à lui-même sa propre fin. Il contient, de ce fait, tous les messages possibles, permet toutes les opinions de ses lecteurs - même exécrables. L'auteur n'a pas besoin d'écrire une morale, comme à la fin d'un conte de La Fontaine. Cela ne veut pas dire que la morale n'existe pas. Elle s'insinue dans les faits du roman, comme elle transpire des échecs et des réussites de notre propre vie, de nos erreurs et de leurs conséquences. Le roman pose des personnages et des événements, il crée parfois une confusion entre l'auteur, le lecteur et le narrateur, car tout le monde dit JE quand il parle, mais à aucun moment, le lecteur n'est privé de sa faculté de juger, de son pouvoir souverain de jeter le livre - et même de le brûler.
De toute façon, le roman s'éteint à la dernière page.
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