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Mes six tatouages d'écrivain

Rien n'est fixé à la naissance. En tout cas, personne ne m'a prévenu. Si l'on veut comprendre comment je suis devenu écrivain, le plus simple est d'enlever quelques vêtements et de vous montrer mes tatouages.

Alex Photo de Pixabay

Je commence par écrire de la poésie à l’âge de dix ans. Ces poèmes valent tout ce que valent les poèmes à cet âge. N’est pas Rimbaud qui veut. Je continue par imiter ce que j’aime lire, des « livres dont vous êtes les héros » et des récits de science-fiction. J’envoie mes textes à mon cousin Christophe, qui me fait un retour avant de m’envoyer les siens. Ce n’est pas encore un atelier d’écriture, mais cet échange me motive, me stimule. « Mon cousin Christophe » est mon premier tatouage.

A onze ans, j’entre au collège. Madame Aubert, notre professeur de français, nous annonce au début de l’année : « Il n’y aura pas de 18 ou de 20 chez moi. Si votre rédaction est excellente, je mettrai un A dans votre bulletin de notes. Les grandes écoles savent ce que veut dire un A. Je ne mettrai pas plus de 15/20. ». Douche froide dans la classe. Cela voulait dire que la moyenne était à 7,5. Il allait falloir bosser si on voulait notre 10/20.

Ma première rédaction prend la forme d’une nouvelle de quatre pages. L’histoire d’un président qui tripote son stylo en or en pensant aux mesures qu’il doit prendre lutter contre la pollution (déjà !). J’obtiens 15/20 pour mon premier texte, 17/20 pour le deuxième. « Madame Aubert » est mon deuxième tatouage.

Au conseil de classe, on me voit comme un futur philosophe. J’enrage. Moi, ce que je veux, c’est devenir écrivain. C’est quoi cette histoire de philosophie ?

Au Lycée, je découvre les auteurs du 19ème siècle, puis du 18ème. On nous demande de produire des commentaires de textes, avec introduction, développement, conclusion. Il n’est plus question d’écrire des histoires d’anticipation. Mes notes diminuent, retombent à la moyenne de la classe. Madame Aubert était une personne généreuse.

Heureusement, il y a les jeux de rôles. J’y apprends à inventer des mondes et à écrire des scénarios. Comme pour les livres dont vous êtes le héros, je veux très vite inventer les miens. A seize ans, je publie Le Peuple sylvestre, qui se retrouve en Tête d’Affiche du Casus Belli n°76, puis Necros, de nouveau Tête d’Affiche dans le n°78 du célèbre magazine des jeux de simulation. En parallèle, je continue à écrire des nouvelles dans le cadre des univers de jeu que j’ai créés. J’en publie certaines dans Zeus, un fanzine de jeux de rôles dont je suis le rédac’chef. « Casus Belli » est mon troisième tatouage.

Arrivé en Terminale, je découvre la philosophie. Je me sens comme un fiancé du siècle dernier qui découvre sa promise. J’allais enfin pouvoir philosopher, inventer ma propre philosophie ! Nouvelle désillusion. Derrière le voile, les cours de philo sont comme les cours de français : il faut apprendre par cœur des citations, expliquer les textes des autres. Pour un cours qui doit nous apprendre à « penser par nous-mêmes », je trouve dommage de devoir s’insérer dans des cadres. Je suis jeune, je suis impatient, je manifeste dans la rue.

Passé le bac, je rentre à l’Université. J’ai choisi Lettres modernes. Enfin, je vais apprendre à écrire un roman ! Que nenni ! En France, les études de Lettres modernes sont surtout des études des auteurs morts depuis au moins 50 ans. « Moderne » ne veut pas dire « contemporain » mais « tous les romans publiés après le 15ème siècle », écrits en langue vernaculaire. Cela ne m’a pas empêché de devoir prendre une option « latin ». C’est parfaitement logique.

Les années passent. Les études. Les filles. Le travail. Les filles. J’ai bien failli ne jamais revenir à l’écriture.

Heureusement, j’écris encore des nouvelles pour Quartz, puis dans Copeaux d’humain (joli titre), des fanzines publiés par le Cercle des écritures. Cette association bordelaise est aussi la première à proposer des « ateliers d’écriture créative » en France. Cette expérience imprimera sa marque dans ma façon de concevoir le métier d’écrivain. « Le Cercle des écritures » est mon quatrième tatouage.

En 2012, les mayas l’avaient prédit, c’est l’apocalypse, j’entre dans une période de chômage. Soutenue par ma compagne, je me lance dans l’écriture d’un roman. Il ne sera jamais publié, malgré les retours encourageants des éditeurs.

L’écriture est une activité solitaire, j’essaie de trouver une solution. Après avoir participé à des ateliers d’écriture et des cafés littéraires, je crée Le Cercle des écritures de Nantes, un surgeon local du Cercle des écritures. Le but est de nous amuser avec les mots, de faire des jeux d’écriture et d’écrire de petites histoires, souvent très drôles ! Dans le cadre de l’association, nous invitons aussi des auteurs qui nous expliquent comment ils écrivent leurs romans et leurs nouvelles. Cela me permet de me relire et de m’apercevoir de mes défauts.

Oulalacepabontoussa !

Je reviens à la littérature, je décortique les textes, je cherche à comprendre les « trucs » des magiciens-écrivains, je tire sur les oreilles du lapin dans le chapeau-clac, je me mets en quatre pour scier une femme en deux, je me mets en boîte pour disparaître à mon tour…  De ces essais et de ces erreurs naissent des ateliers sur les techniques d’écriture.

Nouveau job à plein temps. J’écris sur mon temps libre. Sur la pause déjeuner. Dans les transports en commun. Le soir, la nuit, le weekend aussi. Mais pas le matin. Ça sert à quoi un matin ? C’est tout tranquille, un matin, et serein. C’est quelque chose d’infime, c’est certain. D’ailleurs, c’est écrit dans les livres. En latin.


Pas de bol, j’écris en français. Matin, passe ton chemin.

Je m’entraîne sur des textes courts.  Je réponds à des concours de nouvelles et à des appels à textes. Au début, mes histoires sont toutes refusées. Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, dit le proverbe. En 2013, un déclic se produit. Clic. Je prends le flash en pleine gueule. Les éditions Assyelle retiennent ma nouvelle : « Dieu joue du saxophone », un texte en hommage à Philip K. Dick. Ô joie et pluie de confettis ! Un deuxième texte est publié, puis un troisième, etc. Au total, une douzaine de mes nouvelles sont publiées dans des revues ou des anthologies. J’ai testé tous les genres littéraires : littérature contemporaine, policier, historique, science-fiction… « Les éditions Assyelle » est mon cinquième tatouage.



J’ai toujours le projet d’écrire un roman et d’être publié. Je commence par me constituer une liste d’éditeurs. Je leur écris pour savoir s’ils cherchent de nouveaux auteurs. Puis je me dis que ce travail pourrait être utile à d’autres. J’y ajoute des informations sur le secteur de l’édition, les contrats d’édition, la protection des manuscrits… En 2015 paraît mon Guide des éditeurs de fiction chez Se faire publier.com.

Je déménage. Je retrouve dans mes papiers une idée d’histoire que j’avais écrite quand j’avais dix-huit ans. Le pitch : un homme et une femme, qui ont l’impression de se connaître depuis toujours, sont séparés par des événements qui vont se répéter dans différents lieux, à différentes époques. Pourquoi cette tragédie se répète-t-il ?  Pourquoi eux ? Vont-ils arriver à briser la malédiction ? En 2016, je mets un point final à cette histoire. Je cherche des éditeurs de récits fantastiques dans mon Guide. Le pari est risqué. Les recueils de nouvelles sont rarement publiés en France, à moins d’être un auteur déjà connu. Je ne peux pas faire valoir mon nom, mais les trois histoires qui composent ce recueil sont liées entre elles par un secret que le lecteur découvrira dans la dernière partie. Cela forme une unité, cela doit être publiable.

Je fais des photocopies du manuscrit, je l’envoie par la poste à une première série de trois éditeurs. J’ai déjà prévu de l’envoyer à une autre série de trois éditeurs, mais cela représente des frais, alors je préfère étaler dans le temps. En décembre 2016, je reçois une réponse positive d’un éditeur. Une éditrice, pour être précis. Je suis aux anges. J’ai envie d’en faire profiter d’autres personnes, de partager ma joie d’être publié. Je propose à des Lycéens d’un atelier dessin de travailler sur les illustrations du livre. Ils sont enchantés par le projet. Les Temps maudits paraît en juin 2017 aux éditions Ex Aequo. Un dessin est choisi pour la couverture, trois autres pour illustrer les nouvelles du recueil. Au total, quatre Lycéens se voient également publiés pour la première fois. Leurs noms sont indiqués dans le livre : Eloïse Canizares, Gaëlle Perrocheau, Thomas Anouk, Leslie Leregaza. S’ensuivent des articles dans les journaux, des rencontres-dédicaces, des critiques positives sur des blogs... Le recueil est même sélectionné pour participer au Prix Masterton 2018. Les éditions Ex Aequo est mon sixième tatouage.

Je suis devenu membre de l’association des Romanciers nantais, de la Société des Gens de Lettres puis, récemment, de la Ligue des Auteurs, un collectif d’auteurs créé en 2018. D’autres textes paraissent au fil de la plume. Deux petits bouts sont aussi venus enrichir ma vie. Je n’ai plus le temps de regarder la télé. C’est grave, docteur ?

Je ne suis pas arrivé là par hasard. Mes six tatouages valent autant de remerciements pour ceux qui m’ont donné confiance en moi.

Y en aura-t-il un septième ?


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